La ligne de Montreux-Vieux a Lauw

La question de la ligne de Montreux-Vieux a Lauw, dont le ministre des Travaux publies a promis, le mois dernier, de reprendre personnellement l’étude, a fait couler beaucoup d’encre. Elle présente, en effet, un réel intérêt pour un grand nombre de communes du Territoire tandis que se poursuit l’enquête dont la conclusion sera sans doute connue d’ici peu. il nous a paru intéressant de nous renseigner à bonne source sur l’évolution de cette affaire compliquée.

Nous devons avouer qu’après notre examen, la complication, née des décisions contradictoires des autorités intéressées, nous parait pire encore que nous ne supposions.

En tout cas voici les faits.

Première période La ligne de Montreux-Vieux à l.auw a été établie, pendant la guerre, par les armées françaises comme ligne de ravitaillement.

Elle est à voie unique, à écartement normal (1 m. 44) et sa longueur est environ 20 kilomètres. Elle devait aboutir primitivement entre Sentheim et Guevenheiin mais la position du front a obligé à aboutir vers l.auw en faisant un rebroussement à Mortzwiller.

Lorsque, dans sa séance du 28 avril 1920 la Commission militaire, supérieure des chemins de fer eut à examiner le maintien pour les besoins militaires des installations créées pendant la guerre, le maintien de la ligne fut d’abord envisagé.

Mais le réseau d’Alsace et de Lorraine dit savoir, peu de temps après, que la mise en exploitation de la ligne ne présentait qu’un intérêt minime au point de vue commercial et que la dépense de remise en état (alors évaluée a 6 millions) incomberait, de même que les dépenses d’entretien, au budget de la Guerre.

D’autre part, en 1921, la Guerre, après nouvel examen, estima que le tracé était défectueux et conclut que la ligne serait déposée, la plate-forme seule étant conservée.

Ce fut la première période. Il semblait que tout espoir d’exploitation dut être abandonné.

L’espoir renaît

 A ce moment, entrèrent en jeu les collectivités locales, qui, par l’intermédiaire de leurs représentants et surtout du préfet de Colmar, demandèrent le maintien «te la voie ferrée et sa mise en exploitation.

Un certain flottement en résulta et l’ordre de dépose de 1921 ne fut pas exécuté.

Par lettre du1er  août 1923. le réseau avisa de cette situation le ministre des Travaux publies et le ministre de la Guerre.

A la suite d’une correspondance entre les deux ministres, la Guerre lit connaître, le 6 mars 1924. Qu’elle  acceptait :

1,de prendre à sa charge les dépenses d’acquisition des terrains comme conséquence de sa décision antérieure de conserver la plate-forme de la ligne en vue de son rétablissement éventuel ;

2″ de laisser gratuitement au réseau d’Alsace et de Lorraine le matériel de voie entrant dans la composition de la ligne proprement dite, a l’exclusion de celui des installations annexes dont le maintien n’était pas prévu au décret du 26 février 1923.

II était entendu que les dépenses entraînées par la mise en exploitation et les travaux de parachèveront nécessaires seraient à la charge des chemins de fer d’Alsace et de Lorraine qui incorporeraient la ligne à leur réseau, les terrains lui servant d’assiette devant, d autre part, être incorporés au domaine public des chemins de fer.

On pouvait croire à ce moment que la mise en exploitation allait de nouveau devenir possible. On va voir qu’il n en était rien.

Rien ne va plus

C’est alors, en effet, que, les conditions économiques ayant changé par suite de la baisse du franc, commença la troisième  période : cette période se caractérise par la décision du réseau de renoncer à l’exploitation de la ligne.

En effet, par une lettre du 20 octobre 1925, le directeur du réseau a fait observer au ministre des Travaux publics : d’une part, que la ligne ne pouvait compter que sur 3.350 fr. de recette kilométrique alors que les frais d’exploitation  s’élèveraient à 35.000 fr. par kilomètre ;  d’autre part, que la réfection entraînerait une dépense considérable ; car il faudrait rectifier le tracé sur de nombreux points faire disparaître par une déviation coûteuse le cul-de-sac de Mortzviller, renouveler toutes les traverses, construire les gares, établir les signaux et les enclenchements, etc…

M. le ministre de la Guerre, avisé de ce changement d’appréciation, invita alors le réseau, par une lettre du 7 décembre 1925, à arrêter jusqu’à nouvel ordre les opérations d’acquisition des terrains.

Désaccord avec la population

C’est ce qui a été fait. Mais en 1926, à sa séance du 24 mars, la Commission militaire supérieure des chemins de fer a estimé que cette nouvelle situation ne  pouvait se prolonger. En effet, sur 350.000  francs de terrains à acquérir, 50.000 fr

environ avaient déjà été acquis. Les propriétaires des autres terrains s’attendaient a être payés et ne l’avaient pas été.

Certains riverains de la ligne, pouvant croire de très bonne foi que la ligne serait maintenue, avaient pu prendre leurs dispositions en conséquence.

On ne pouvait laisser dans l’incertitude les populations intéressées.

Si la ligne de Montreux-Vieux à Lauw devait être abandonnée, il convenait que l’autorité militaire fit rapporter le décret du 26 février 1923, pris sur sa proposition. et qui avait autorisé la conservation des terrains sur lesquels est établie la voie ferrée.

Mais cette mesure ne pouvait être prise que si le ministre des Travaux publics renonçait au maintien de cette voie ferrée ; il était d’abord nécessaire de régler cette question.

La Commission concluait que le maintien ne pouvait se justifier ; que les dépenses de remise en état seraient hors de proportion avec les services rendus.

Elle ajoutait que, d’autre part, la région intéressée était très bien desservie comme moyens de transport. Il existait, disait-elle, un chemin de fer d’intérêt local entre Belfort et La Chapelle-sous-Rougemont sur une longueur de 17 km. De la station des Errues, située à 5 km avant La Chapelle, partaient deux embranchements. Un service d’autobus reliait cette dernière localité à Massevaux, etc…

Inutile de signaler que, sur ce dernier point, l’autorité militaire n’est pas d’accord avec la population intéressée.

Le projet semble définitivement abandonné

c’.est dans ces conditions que furent adressées, en avril dernier, aux élus du Territoire, les réponses ministérielles négatives dont on se souvient et dont nous rappelons le passage essentiel :

La question du maintien de la ligne dont il s’agit a fait l’objet, l’année dernière, d’une étude approfondie de la part tant du Réseau d’Alsace et de Lorraine que du service du contrôle.

Il résulte de cette étude que les travaux à exécuter pour mettre en exploitation la ligne dont il s’agit entraîneraient une dépense considérable hors de proportion avec les services à en attendre.

De son côté, le département de la Guerre a fait connaître, le 10 avril dernier, que le maintien de la ligne ne s’imposait plus au point de vue des intérêts dont il a la charge.

Dans sa séance du 26 avril 1926, le conseil général des Ponts et Chaussées a conclu également dans le sens de l’abandon de ce chemin de fer.

Le projet était ainsi définitivement abandonné.

Le projet était ainsi définitivement abandonné. Toutefois, sur la demande des tuileries de Foussemagne, on étudiait pour le service de cet établissement et sous le régime de voie mère d’embranchements, le maintien d’un tronçon de 3 kilomètres.

Nouvel aspect de la question

On se souvient que, depuis lors, le ministre actuel des Travaux publics a été saisi par M. Girardin, vice-président de la Société d’Agriculture, au nom de nombreux habitants du canton de Fontaine. d’une nouvelle demande tendant à maintenir la ligne en exploitation, grâce au concours des collectivités intéressées, de Montreux à Vauthiermont, c’est-à-dire sur un parcours de 9 kilomètres.

C’était là un nouvel aspect de la question et c’est cet aspect nouveau qui est présentement à l’étude.

Pour nous, qui ne sommes ni des autorités militaires, ni des autorités ferroviaires, il y a. dans cette affaire, une cause de surprise et de regret : c’est qu’on ait si souvent changé d’avis.

Comment a-t-on pu, en six ans, professer des opinions contradictoires, tant sur futilité militaire de la ligne que sur ses possibilités d’exploitation commerciale ?

Un est ainsi tombé au point mort où M. André Tardieu a trouvé le dossier à son arrivée aux Travaux publics.

A ce moment, toute idée de maintenir la ligne se trouvait définitivement abandonnée et personne ne parlait encore de la solution subsidiaire, qui seule demeure aujourd’hui en question.

Ce dont les populations du canton de Fontaine ont surtout lieu de se plaindre c’est qu’on les ait longtemps laissées en état d’incertitude.

Nous voulons espérer que cette situation, qui a duré de 1920 à 1926, ne se prolongera pas et que, bientôt, nous serons fixés.

Sources : Le Républicain de Belfort 25 septembre 1926